Un homme, une femme, un mandat

Le cumul des mandats électoraux est véritablement un cancer de la vie politique française. C’est une spécificité nationale, aucun autre pays développé ne nous est comparable sur ce point. C’est ce qui permet de faire une carrière politique.

Tous les élus en France, ceux qui veulent faire carrière, sont tétanisés par l’obsession de créer les conditions de leur réélection, c’est-à-dire de la démagogie électoraliste. Pas une décision dont le critère ne soit : va-t-elle me faire gagner des voix ou en perdre? Seuls sont libérés de cette tyrannie qui décident volontairement de ne pas se représenter, autant dire une infime minorité.

La plupart des élus prétend, pour justifier le cumul, qu’il est nécessaire d’avoir un mandat local pour garder «un contact avec la réalité du terrain»: c’est une vaste blague, les fonctions de législateur n’ont qu’un lointain rapport avec celles de maire d’une commune moyenne par exemple. Mais de fait ces élus ont un besoin crucial de garder le contact avec la base électorale qui leur servira à être réélu.

Un élu local, du fait de l’exercice même de sa fonction, accorde des autorisations, facilite des actions, délivre des permis de construire, embauche du personnel, etc., bref : rend des services. Or tout service rendu crée une personne redevable, et comment mieux solder sa dette envers un élu qu’en votant pour lui.

C’est ainsi que se fabrique des «fiefs», dont le mot moyenâgeux nous ramène au lien de vassalité, c’est-à-dire dans un monde pré-démocratique. Combien votent pour le maire parce qu’ils ont «la reconnaissance du ventre», parce qu’il a accordé un permis, embauché un fils, etc. sans se rendre compte qu’ils sont déjà là dans un rapport qu’il faut qualifier de corruption.

L’objectif premier d’un maire élu sans majorité absolue, par exemple à l’occasion d’une triangulaire, est de profiter au mieux des 6 ans de mandat pour se créer suffisamment de débiteurs pour devenir réellement majoritaire. Ce fut le cas de René Jeannot, élu en 1989 sur une division de la gauche très majoritaire (le PC d’alors avait voté contre Sodol Colombini, communiste dissident) et qui fut assez habile pour se faire réélire en 1995. C’est le cas aujourd’hui de Cédric Bonato, élu avec moins de 40% des voix en 2008, mais dont les perspectives semblent beaucoup plus hasardeuses : parce que la sociologie électorale très à droite lui est défavorable, parce qu’il a tourné le dos à toute alliance politique au-delà de son cercle restreint, parce qu’il a multiplié les maladresses par manque de lucidité et inexpérience. Néanmoins, s’il devait être réélu il pourrait envisager assez sereinement les 40 années qui viennent.

Cédric présente toutes les qualités pour faire carrière : pur apparatchik du parti socialiste tendance frêchiste, redoutable machine électorale, il s’est révélé une passion pour l’exercice du pouvoir d’élu, un vrai talent relationnel, en empathie apparente avec tous, habile à tirer les ficèles de la démagogie ordinaire , c’est-à-dire l’art de raconter des histoires et de jouer du pathos. Il pourrait faire dans quelques décennies un honorable sénateur type Vème République (si ça existe encore) à condition d’être réélu en 2014. Et donc la pratique de Cédric Bonato, malgré les promesses convenues de moralisation, est restée ce qu’elle fut avant lui, hors de toute légalité, celle des proches, des amis et des réseaux.

Car c’est une des clefs du système, qui est une sorte d’oligarchie (le pouvoir de quelques-uns) élective : pour être élu il faut avoir été élu, et les partis politiques sont les animateurs et relais actifs de ce système. On évoquait devant Hélène Mandroux la possibilité d’une primaire à gauche pour désigner le candidat aux prochaines municipales à Montpellier. Réponse : c’est idiot, quand le sortant se représente il n’y a même pas de discussion.

Ce qui est idiot et mortel c’est précisément cette conception de la classe politique comme d’une caste dont le seul but et de durer et cumuler. En France, les hommes et les femmes politiques qui veulent faire carrière (ce n’est pas, loin de là, le cas de tous les élus locaux) endossent l’habit de ceux qui pensent avoir une vocation : le but primordial sera 1. de se faire réélire, 2. de gagner d’autres mandats, 3. que ça dure le plus longtemps possible. Et loin derrière, en 7 ou en 8 on aura le souci de l’intérêt général.

La solution : un homme, une femme, un mandat, renouvelable une fois.

Ce n’est évidemment pas ce que va proposer la commission Jospin (qui vient d’être nommé par Hollande), ni ce qui a la moindre chance d’être voté par le Parlement. Nos élus n’ont pas l’intention de se faire hara-kiri, comme ils disent. C’est pourtant, j’en suis convaincu, ce que souhaitent les citoyens. C’est étrange, tout le monde invoque le référendum pour ceci, contre cela, mais pas un élu, de la gauche radicale à la droite extrême n’en a proposé sur ce sujet qui est pourtant au coeur même de la perversion de notre pseudo-démocratie. Bizarre non?

Mais chacun se sent un petit peu obligé de la promettre, surtout quand il est dans l’opposition : c’est plus facile d’être contre le cumul des mandats quand on en a pas. Mais dès qu’on a remporté l’élection c’est vite plus embêtant : dilemme actuel de nos élus locaux socialistes (maires, présidents de communauté de communes, conseillers généraux, conseillers régionaux) qui viennent d’être élus députés.

«- J’avais dit que…, vous êtes sûrs? Mais la loi ne m’interdit pas…?

  • Non, la loi ne vous interdit pas, c’était juste une promesse électorale.
  • Ah, ouf!
  • Mais c’est une règle interne au PS et un engagement que vous avez signé.
  • Oui, oui, mais rien ne presse…»

A noter hélas que cette hypocrisie est partagée par certains élus écologistes.

Voir article : Le PS pris au piège du cumul des mandats (Midi Libre, 11-07-2012)

 

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