Des chalutiers à la casse
On apprend par la presse (Midi Libre 27/10/2011) que plusieurs chalutiers du Grau-du-Roi partent à la casse.
C’est une impression première de tristesse et de gâchis : le nombre de ces bateaux a diminué de plus de la moitié en 20 ans et le nombre de pêcheurs aussi. Ce beau métier, rude et noble, est-il en train de se perdre? Quelqu’un a-t-il décidé d’avoir la peau de nos pêcheurs? Est-ce une évolution normale, un scandale, une fatalité?
On notera d’abord l’incohérence des politiques publiques : il y a peu d’années encore on attribuait d’importantes subventions pour moderniser ces bateaux, on paie aujourd’hui pour les désarmer et permettre la reconversion de leurs propriétaires indemnisés.
Que s’est-il passé entre-temps : la prise en compte, enfin, que la mer n’est pas cette source inépuisable où chacun peut se servir librement, le rêve d’une ère de l’abondance s’est achevé. La ressource est limitée, il faut la partager équitablement, en assurer le renouvellement et la pérennité pour les générations à venir.
L’épuisement des pêcheries d’une part et la dégradation de la qualité, en taille et diversité, annoncent une possible disparition de la pêche, la fin en tout cas d’une filière. La mer se vide et les écosystèmes se dégradent. Les volumes pêchés ont atteint un maximum et la diversité des espèces diminue.
On sait que la surpêche n’est pas la seule responsable, loin de là, et que les facteurs humains sont nombreux qui interviennent dans ces phénomènes inquiétants : pollutions, gestion littorale, dérèglement climatique…
Pour autant la réduction de la capacité de pêche est une exigence absolue : ce secteur est aujourd’hui non viable, commercialement sinistré, et vit sous perfusion d’argent public.
On se rappelle le blocage par les pêcheurs du port du Grau-du-Roi l’hiver dernier pour obtenir une remise supplémentaire sur le prix du gasoil qu’ils obtiennent déjà 5 fois moins cher que l’usager ordinaire : quelque chose ne tourne pas rond.
Cet étranglement économique alimente une culture de la fraude encouragée par une absence de contrôle : le chalutage dans la bande des 3 milles est une pratique courante et parfaitement mortifère pour les pêcheurs eux-mêmes : les fonds raclés sont perdus, les espaces nourriciers dévastés, et le partage de l’espace pour un juste équilibre des métiers sacrifié. Au-delà des 3 milles le chalutage reste destructeur avec des taux de rejets de près de 50%.
La course au poisson, avec des filets toujours plus grands, des moteurs toujours plus puissants porte en elle ses conséquences fatales.
Il faut aujourd’hui en venir, en concertation étroite avec les pêcheurs, à réduire la capacité de pêche en limitant la puissance des moteurs, adaptant les engins, développant les petits métiers (qui constituent déjà 90% du nombre des pêcheurs), restaurant la filière pêche en développant les circuits courts et la qualité, définir des plans de gestion à une échelle adaptée. Pêcher moins pour vivre mieux.
Et ce sont les terriens aussi qui doivent être responsabilisés : la pollution qui tue la Méditerranée elle vient de là, des rejets non traités, agricoles, industriels et urbains, des hydrocarbures et métaux lourds de nos routes et réseaux pluviaux, des rejets de stations d’épuration (pensons à l’émissaire en mer de la Céreirède), des millions de tonnes de plastiques et déchets, etc.
Il serait bon que nos élus politiques de tous poils cessent de cajoler une profession influente en la berçant de belles paroles sans fondement pour poser les véritables problèmes au niveau politique pertinent qui est le leur. On les a vu accourir au Grau-du-Roi début 2011 pour assurer les pêcheurs de leur soutien sans faille, crier haro sur l’Europe, et demander une nouvelle «table ronde» : mais que faites-vous vraiment, M. le député-maire, M. le conseiller général, M. le conseiller régional, M. le président du CG30, dans vos choix quotidiens pour préserver l’environnement marin et la qualité des eaux littorales?
Et donc pour assurer l’avenir d’une profession, de savoir-faire immémoriaux, de lignées familiales de pêcheurs et d’un usage de la mer que nous ne devons perdre à aucun prix?