Comprendre et réagir aux évènements du sud gardois

Les évènements récents dans le sud du Gard ne sont pas une succession d’actes isolés : ils prennent tout leur sens par les liens de causalité et de correspondances qu’ils entretiennent entre eux.

Quels sont les faits :

  • Le 17 juin 2012 M. Gilbert Collard, candidat du Front National, est élu député au second tour des législatives dans la 2ème circonscription du Gard avec 42,82% des voix.
  • Fin juin-début juillet un mouvement de protestation s’intensifie au Grau-du-Roi, orchestré par les commerçants et la municipalité, contre la ligne de train à 1€ Nîmes-Le Grau-du-Roi mise en place par la Région. En cause : «des hordes de voyous venant de la ZUP de Nîmes envahir une station balnéaire familiale».
  • Dans la nuit du 3 au 4 août : un homme abat le compagnon de sa fille près de Gallician (Vauvert). Une rumeur soudaine enflamme la Toile qui suppose des raisons religieuses à cet acte : le jeune homme aurait voulu convertir la fille à l’islam ce qui aurait mis le beau-père en fureur. Cette version sera démentie le surlendemain.
  • Dans la nuit du 4 au 5 août à Aigues-Mortes un couple poursuit et tire au fusil de chasse sur des jeunes gens qui discutent devant le Vival du quartier du Bosquet.
  • Le 5 août au Cailar une bande de jeunes fêtards descend dans l’arène et scandent, devant la mairesse et toute la société villageoise, des slogans racistes en poussant des cris de singes et lançant des saluts nazis.

I.

Le FN, qui se maintient depuis 25 ans à un niveau très élevé en Camargue gardoise, est véritablement devenu une force dominante en 2012.

  • Cette position légitime soudain tous les discours déjà présents mais intériorisés comme minoritaires ou opprimés. Depuis l’élection de G. Collard la «République», pour une part, est aussi devenue «anti-arabe». La position de rejet, déjà peut-être majoritaire dans les têtes, le devient dans le droit sanctionné par la légitimité du suffrage démocratique : l’inhibition n’est plus de mise, le passage à l’acte est permis.
  • D’autres forces politiques se sont désormais compromises et le cordon sanitaire – déjà bien fragile – qui entourait le FN a été rompu. En hésitant à se retirer entre les deux tours des législatives Etienne Mourrut (UMP) a clairement affiché sa préférence pour G. Collard. Et le silence assourdissant depuis 15 jours de C. Bonato (PS),maire d’Aigues-Mortes, ne peut se comprendre que comme une concession à la puissance électorale du FN et donc à l’idéologie extrêmiste.
  • Car l’opinion a choisi son camp sans hésitation : une pétition de soutien aux prévenus d’Aigues-Mortes circule sur internet et recueille des centaines de signatures. Le texte conteste ouvertement une décision de justice, sans un mot ni égard pour les victimes, dans l’insouci complet de la gravité des faits, et tordant un peu le cou à la réalité des faits.
  • La parole s’est libérée : le défouloir est général, sur Facebook, ou dans les commentaires des articles sur le site de Midi Libre. Les freins sont lâchés. Derrière les litanies d’aigreur, d’envie et d’acrimonie, s’exprime toute la contestation de nos institutions (Police, Justice, Parlement, élus, administrations), et des valeurs constitutionnelles : égalité des droits, liberté de culte, droit du sol, etc.

II.

  • Nous voulons d’abord manifester notre amitié et solidarité pour nos concitoyens victimes des actes d’Aigues-Mortes. A travers eux c’est l’esprit républicain qui a été agressé et nous nous associerons à toute action visant à réparer ce préjudice et réaffirmer l’inviolabilité de la communauté de destin qu’est le peuple français dans sa diversité.
  • Nous condamnons fermement et sans réserve les actes commis – quelles que soient par ailleurs les raisons et qualités des prévenus. La gravité des faits s’impose : un couple en voiture poursuit pendant 40 minutes et tire au fusil de chasse sur des personnes en raison de leur seule appartenance ethnique. Nous attendons également que les faits du Cailar ne restent pas sans suite judiciaire.
  • Nous critiquons sévèrement le silence du maire d’Aigues-Mortes qui n’aura pas eu une seule parole publique d’apaisement, de réconciliation, qui n’aura pas su trouver un mot pour tenter de ressouder une société locale divisée, traumatisée parfois, et prévenir peut-être par là d’autres drames à venir. En l’occurrence M. Bonato a failli à sa fonction.

III.

  • Comme mesure immédiate nous attendons de l’Etat, des municipalités, qu’ils réaffirment l’autorité de leurs services respectifs et le principe de poursuite immédiate et impartiale de toute infraction, quelle qu’elle soit.
  • Nous demandons ensuite la convocation de toutes les instances concernées pour décider d’engager une réflexion de fond sur les moyens de comprendre et maîtriser la montée de l’intolérance. Action sociale, culture et histoire, éducation, participation citoyenne, qualité urbaine et qualité de vie, sécurité publique : tous les champs de l’action locale devraient être travaillés avec l’objectif clair de faire naître une génération animé d’un esprit d’égalité, de respect et de partage. Et non comme c’est souvent le cas, au service d’une classe de notables, d’une société locale ancienne, d’intérêts particuliers influents.
  • A l’évidence ces questions dépassent largement l’échelon local : la misère sociale, les quartier ghettos, le chômage de masse, les inégalités, le injustices chroniques, sont à l’origine d’une société française secouée de spasmes violents et qui se délite. Les manifestations xénophobes en sont des symptômes maladifs. L’appel incantatoire au respect d’autrui restera vain sans une action déterminée pour rétablir l’intégralité des droits de chacun dans tous les moments de sa vie : droit à l’emploi, à la sécurité, à l’éducation, au logement, à la santé.

IV.

Alors que la municipalité d’Aigues-Mortes prépare activement les fêtes de la St Louis avec son grand simulacre d’embarquement pour la VIIème croisade il nous semble que l’indispensable travail de mémoire et d’histoire justifierait de rappeler ce que furent aussi ces croisades : une tentative de domination religieuse et militaire des arabes par la Chrétienté conquérante. En ces temps troubles où l’on meurt dans d’autres «guerres saintes», la ville d’Aigues-Mortes semble toute désignée pour initier une relecture de notre propre passé. Au-delà de la kermesse commerciale pourquoi ne pas engager, à travers un projet de jumelage avec une ville du Moyen-Orient, un programme d’échanges culturels durables avec l’autre rive de la Méditerranée?

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